Le suicide d’un salarié survenu hors temps et lieu de travail peut être qualifié d’accident de travail
Dans un arrêt rendu le 7 avril dernier, la Cour de cassation juge que le suicide d’un salarié intervenu hors temps et lieu de travail peut être qualifié d’accident de travail sous certaines conditions.
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À NOTER
La loi définit l’accident du travail (AT) comme un accident, quel qu’en soit la cause, survenu par le fait ou à l’occasion du travail. Plusieurs critères sont pris en compte par les juges pour qualifier un AT : l’existence ou non d’un lien de subordination au moment de l’accident, le lieu et le moment de l’accident. Par exception, les juges reconnaissent parfois comme AT des accidents ayant eu lieu dans un lieu privé, en dehors des horaires de travail dès lors que l’accident n’est pas dénué de lien avec le travail. Illustration avec cet arrêt de la Cour de cassation.
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Faits
Un salarié met fin à ses jours à son domicile, le 23 janvier 2016. Sa veuve ayant établi le 1er mars 2016 une déclaration d’accident du travail, la caisse a pris en charge le suicide du salarié au titre de la législation professionnelle. L’employeur a alors saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins d’inopposabilité de cette décision.
La Cour d’appel d’Angers ne donne pas raison à l’employeur, et déclare opposable la décision de prise en charge du suicide du salarié au titre de la législation professionnelle. Pour justifier sa décision, la Cour d’appel relève que le jour d’avant l’accident, l’entreprise avait confirmé la fermeture du site où il travaillait, dans le cadre d’un projet de restructuration.
L’employeur saisit alors la Cour de cassation, en arguant notamment que l’ensemble des salariés avaient déjà connaissance de la fermeture des sites bien avant cette réunion (depuis 2014), qu’à l’issue de cette réunion le salarié « n’avait rien laissé paraître à l’annonce confirmée de ces mesures, allant même jusqu’à participer avec enthousiasme aux animations ludiques organisées et n’avait jamais rien laissé paraître de la détresse dans laquelle il se trouvait » et, qu’en outre, le salarié avait indiqué à des amis du couple que la perte éventuelle de son emploi ne serait « pas réellement problématique », ce qu'avait confirmé la veuve.
Solution de la Cour de cassation
La Cour de cassation vient confirmer la décision de la Cour d’appel. Elle rappelle le principe selon lequel un accident qui se produit alors que le salarié ne se trouve plus sous la subordination juridique de l’employeur constitue un AT, si l’intéressé ou ses ayants droit établissent qu’il est survenu par le fait du travail.
Selon la Cour de cassation, les juges de la Cour d’appel ont bien motivés leur décision :
- L’arrêt retient essentiellement que la réunion du 22 janvier 2016 apparaît comme un élément déclencheur du passage à l’acte compte tenu de sa proximité chronologique avec le suicide du salarié survenu le lendemain, et de la confirmation, lors de cette réunion, de la décision définitive de la fermeture du site sur lequel il exerçait son activité professionnelle ;
- L’arrêt ajoute que cette annonce est intervenue à l’issue d’un processus de réunion pendant lequel le salarié est demeuré dans l’incertitude quant à son avenir professionnel, ce qui l’a confronté à l’isolement et l’incompréhension ;
- Les juges de la Cour d’appel ont également relevés qu’à cette décision s’est ajouté une dégradation des conditions de travail du salarié contraint à de nombreux déplacements, et la perspective d’une mutation dans une autre ville, qu’il ne pouvait envisager ;
- Le salarié était décrit par tous comme d’un naturel discret mais extrêmement investi dans son activité professionnelle ; il n’avait pas fait part de ses intentions à qui que ce soit et n’a au contraire rien laissé paraître de la détresse dans laquelle il se trouvait ;
- Et qu’enfin, l’arrêt précise qu’aucun élément ne permet de relier le passage à l’acte à l’environnement personnel du salarié.









